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Huiles

Les chemins de l’inspiration sont aussi capricieux que mystérieux ; parfois invraisemblables, et souvent sinueux… Il arrive pourtant que la vision d’une œuvre s’engouffre en soi, sans préalable. A cette époque, un grand sentiment en moi attendait son tour de faire naufrage sur une de mes toiles, mais j’étais loin de cette démarche picturale en entrant dans ce petit cimetière planté au bord d’une falaise. C’était un jour de tempête où le vent de noroit donnait à la mer sa beauté terrifiante des jours sombres. Au loin, les déferlantes montaient à l’assaut des dunes, le ventre lourd de morceaux de grève déjà dévorés. J’étais là parce que l’instant devait être secret ; les murmures avec les engloutis ne regardent que soi. Mais, qui serait venu ici, alors que même les goélands affolés fuyaient vers l’intérieur des terres ? Je savais que j’allais être seul dans le jardin de vos linceuls humides, sous la pluie de décembre inclinée et glaciale. Dans la solitude de ma mémoire : ni grave, ni recueilli, mais simplement amoureux de cet instant près de toi. Je posai ma porcelaine sur ton cœur et comme à chaque fois la brulure s’est ranimée en turbulences. Plutôt sereines désormais. En nuit de pleine lune. Pourquoi laisser trop d’amertume et de tristesse envahir ce palais dans lequel tu m’accueilles ? Je te racontai comment j’étais devenu un oiseau migrateur, j’évoquais ce coquillage cueilli à trois brasses sous l’eau près de l’ile de Gorée et je parlais de ces voyages imperceptibles du cœur qui me ramènent toujours ici. Puis soudain, le silence de oiseaux, l’accalmie Ma mémoire balancée devint pendulaire eu rythme des souvenirs qui me submergeaient. Je me suis laissé entrainer vers un tourbillon de formes et de couleurs qui se précipitaient vers cette toile, là, à cet instant, ressentant à l’infini un sentiment lumineux de clarté foudroyante, jusqu’à la précision de cette cascade de symboles glissant le long de la courbe de cette cuisse Tu es née ainsi, à ce moment précis, dans le mystère éblouissant et si fragile de l’enfantement Puis, ce dernier geste de ma main qui vint frôler le marbre, comme pour venir serrer la tienne. Ce geste était-il le prolongement d’une espérance ? Mais toi, crois-tu aux anges là où tu es ?

L'or et la boue

Fenêtre sur la solitude
J’évoque ici sa propre solitude dans la genèse de l’œuvre d’art. Le face à face avec la toile de lin blanche, l’instant où l’incertitude sur son devenir est totale, les premiers gestes hésitants, l’inspiration traitresse au souffle court, les chemins vers nulle part, les doutes horribles, les contorsions de rage, et parfois le retour désastreux au premier bégaiement. Mais c’est ainsi, avant de pouvoir restituer sa propre émotion, il faut accepter l’énigme des errements, l’évasion des sens tardive, et le face à face avec soi-même. Dans l’isolement total, car l’aventure est on ne peut plus solitaire, et le cheminement vers l’émotion du couronnement rempli de naufrages. Moments d’ailleurs insupportables pour qui se risque à trainer à proximité, pendant la période des balbutiements...
Dans le processus de la création, ces étapes sont le prix à payer pour atteindre l’instant intermédiaire fragile où, des cendres de ses propres songes, d’un bouillonnement intérieur, la toile va devenir elle-même, et prendre seule son envol.
Créer c’est donner vie à l’énigme de son propre monde à travers une confidence livrée à l’inconnu qui passe. A chacun de se glisser au-delà de cette embrasure, avec ses propres enthousiasmes, ses frissons et ses attendrissements, pour y trouver ce qui lui appartient. Sans quoi la toile, si elle n’était qu’une hypothèse dans une boite, ne serait pas achevée.
